OSER ASSUMER ET S’ASSUMER: Pourquoi je suis scénariste et productrice de séries? Par Kalista Sy, fondatrice de Kalista Productions (TEXTE INÉDIT DE KALISTA SY, ÉGÉRIE DU CINEFEMFEST 2024 + entretien video)

OSER ASSUMER ET S’ASSUMER: Pourquoi je suis scénariste et productrice de séries? Par Kalista Sy, fondatrice de Kalista Productions (TEXTE INÉDIT DE KALISTA SY, ÉGÉRIE DU CINEFEMFEST 2024)

« Je ne pense pas que quelqu’un puisse écrire des scénarios qui viennent du cœur comme elle le fait ».

Ce témoignage de Roger Sallah acteur dans la série YAAY 2.0 me touche particulièrement.

Mon rapport avec l’écriture est complexe, écrire est une thérapie, j’écris pour voir mes souffrances, toucher mes douleurs, c’est une rébellion qui me permet de montrer à la société le traitement réservé aux femmes.

Issue d’une famille divorcée, j’ai vu ma mère célibataire harcelée, fragilisée par la société.

Ne pouvant être avocate pour défendre la veuve et l’opprimé, j’ai trouvé en l’écriture le moyen de redonner à la veuve sa dignité, à l’opprimé la justice.

J’avais la faculté de retenir toutes les phrases assassines des gens :

« Tu ne serviras à rien » mon grand-père me le répétait à longueur de journée.

« À dix-huit ans, tu auras six bébés, tu seras mariée à un vieux. » Dixit mon professeur d’histoire/géo en sixième.

« Avec l’arrivée de la nouvelle épouse de ton pére, il va vous foutre dehors ! » mon homonyme la sœur de mon pére.

J’ai écrit parce que j’étais blessée, pire personne ne s’intéressait à moi, j’avais honte de pleurer ou d’attirer l’attention.

 J’écrivais alors pour la personne imaginaire qui pouvait m’écouter, me consoler, si j’avais eu de l’attention, je n’allai jamais écrire. 

Dans la démarche d’écriture, il y’a toujours une part de nous, un style qui nous est propre.

Mon style a moi, poser le sujet d’une manière brute afin de choquer, secouer et mettre le public devant le fait accompli. C’est une question de justice sociale, de changement, de thérapie et de rupture pour aller vers l’évolution.

La narration permet d’ouvrir un champ de possible et ça nous pousse à questionner nos vies et à voir comment on peut s’ouvrir des chemins vers la guérison, l’indépendance mais surtout la liberté.

Quand j’écris, j’endosse toute situation qu’une femme peut vivre, toutes les histoires de femmes sont les miennes. C’est important de donner la juste mesure des émotions et permettent aux femmes de voir et comprendre leur souffrance à l’écran mais surtout de comprendre qu’elles ne sont pas seules, c’est un exercice difficile à faire. Les femmes sont dans la quête, parce que leur vie est une lutte pour la survie. Les femmes veulent avoir le droit d’être elles-mêmes, de vivre pour elles avant les autres.

 Au fil du temps, les histoires de femmes que je porte à l’écran sont des témoignages, elles sont tellement généreuses, qu’elles veulent que leurs histoires servent d’exemple, ne voulant pas que d’autres femmes aient le même vécu. Dans la douleur les femmes sont fortes, elles gardent en réserve une poche de survie afin que plus jamais une autre femme ne vive leur souffrance.

Y’a tellement peu de survivantes, qu’elles veulent qu’il y’en ait plus.

Écrire des témoignages pour les porter à l’écran, demande à avoir la bonne écoute, une distance pour marquer le respect et une retranscription réelle pour permettre à l’auteure du récit de faire sa thérapie, mais aussi de voir ses combats et son parcours.

Chaque femme est l’incarnation de son milieu, elles n’osent pas être elle-même. Mais ne veulent pas que leurs filles vivent leur souffrance. «Une mère avec ses deux filles est venue me voir. Elle m’a demandé si j’étais Kalista Sy ? Lorsque j’ai répondu par l’affirmative, elle s’est tournée vers ses filles et leur  a dit : « C’est elle qui raconte nos histoires de femmes. » Les femmes veulent qu’on apprenne  à leurs filles d’autres histoires qui vont forger leur esprit et pour les aider à voir les femmes comme des méritantes, des battantes capables de changer le monde. J’écris parce qu’il est important qu’on produise et qu’on porte à l’écran des histoires qui nous ressemblent.  

Pour aider les femmes à s’aimer et à croire en elles, il est important qu’elles puissent se voir et se percevoir.

On apprend aux femmes à aimer et à servir les autres pas à avoir de l’amour et de l’empathie pour elles.

Ce qui se trouve au fond de notre désir de créer.

L’écriture n’est pas une question de génération et de différence mais de vécu.

La version finale du texte sera publié par le CINEFEMFEST dans le cadre des actes de sa résidence d’écriture « Intersections »

Entretien: 30 Minutes avec Kalista Sy, scénariste, réalisatrice et productrice sénégalaise et Egérie du festival CINEFEMFEST

BIOGRAPHIE DE KALISTA SY

Kalista Sy, de son vrai nom Khadidiatou Sy, est une scénariste, réalisatrice et productrice sénégalaise qui a profondément transformé le paysage audiovisuel africain. Formée au journalisme, elle se fait connaître du grand public avec sa série à succès « Maîtresse d’un homme marié », diffusée en 2019. À travers cette œuvre, elle aborde des thèmes sociétaux complexes comme l’infidélité, la polygamie, le divorce et la santé mentale, tout en donnant une voix inédite aux femmes. Ce projet marque un tournant dans la représentation des femmes à la télévision sénégalaise, les présentant non plus comme des personnages secondaires, mais comme des figures fortes, indépendantes et maîtresses de leur destin. Face à des sujets aussi sensibles dans une société régie par des codes sociaux stricts tels que la sutura, Kalista Sy brise les tabous, explorant les réalités cachées des femmes sénégalaises. Ce code, profondément ancré dans les mœurs, impose discrétion et réserve, notamment aux femmes, sur des sujets liés à l’intimité. En osant aborder ouvertement ces sujets à l’écran, Kalista a suscité un débat national tout en sensibilisant un large public à des problématiques souvent occultées. Forte de ce succès, elle fonde KALISTA Production, une société de production dédiée à la création de contenus pour les femmes, par les femmes, renforçant ainsi son engagement en faveur de l’émancipation féminine. En 2021, Kalista continue sur cette lancée avec la série « Yaay 2.0 », une œuvre qui explore la maternité, l’infertilité masculine et les pressions sociales autour de la procréation. En défiant les normes sociales avec audace, Kalista se positionne comme une figure centrale dans le renouveau du cinéma sénégalais, poussant les spectateurs à repenser la place des femmes et des hommes dans la société. Avec des séries comme « Hair Lover » en 2023, qui questionne les standards de beauté hérités du colonialisme, elle continue d’utiliser l’écran comme un espace de lutte et de libération, tout en ancrant ses récits dans des réalités locales avec un impact continental. Kalista Sy incarne une voix féminine puissante qui, par son audace et son talent, contribue à redéfinir les représentations sociales et culturelles au Sénégal et en Afrique.

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